Edito

Le chien-chien à sa mémère.

S’il est un cadeau à ne jamais faire, c’est celui d’un animal. Outre la gêne que cela peut provoquer, on ne sait pas comment il sera accueilli ni quelle vie lui sera accordée. Certes il pourra devenir un membre à part entière de la famille adoptive mais son abandon au coin d’un bois lors des prochaines vacances n’est pas à exclure. Les êtres humains ont toujours eu beaucoup de mal à se situer par rapport aux animaux. Ces créatures partagent leur vie, à certains égards ils leur ressemblent, et entretiennent des rapports souvent complexes d’amour ou de haine. En fait, le statut philosophique, voire religieux, de l’animal dans les grandes civilisations, a longtemps oscillé entre deux conceptions fondamentales : l’animal-homme et l’animal-objet, pour aboutir en fin de compte, dans la pensée occidentale actuelle, à une conception plus conforme à la science moderne : celle de l’animal-être sensible.

Ce dernier concept est toutefois préférable à l’animal objet. Les animaux ont trop longtemps souffert de la cruauté de l’homme même si cette dernière n’est pas gommée pour autant. Le monde vivant est cruel par essence. La vie est condamnée à dévorer la vie pour vivre.

L’animal-être sensible immanquablement conduit aux moqueries du chien-chien à sa mémère. Cet attachement extrême aux animaux peut paraître ridicule mais dans un autre registre il faut savoir qu’au Moyen-âge, lorsqu’un animal avait blessé ou tué un homme, il était traduit en justice, défendu par des avocats et puni s’il était jugé coupable et éventuellement pendu en grande pompe et en public. Sous Louis XII, l’évêque d’Autun avait même voulu excommunier les rats parce qu’ils transmettaient la peste. Grâce à la brillante plaidoirie de leur avocat, Barthélémy Chassanée, les rats échappèrent heureusement à cette injuste condamnation ! (Selon Brunois, 1984). Beaucoup de religions ont été encore plus loin, puisque certains dieux avaient des traits animaux. Les animaux divinisés abondent dans les religions de l’Egypte Ancienne, de l’Inde, du Nouveau-Monde, et même dans la Grèce antique. Enfin il est une croyance religieuse très répandue qui donne à l’animal une autre caractéristique humaine : celle de l’âme. C’est la métempsycose, croyance selon laquelle les âmes peuvent, après la mort, se réincarner dans des corps humains comme dans des corps d’animaux.

Aujourd’hui les progrès de la science ont amené à une meilleure connaissance de la manière dont « fonctionne » les corps des animaux et le corps des hommes. Ces progrès sont d’ailleurs fondés sur la recherche biologique expérimentale elle-même, dont les principes ont été décrits au XIXème siècle par Claude Bernard : les corps vivants, systèmes matériels, sont analysables et connaissables par l’expérimentation.

Finalement la science moderne, étaye que l’animal est un « être sensible », très différent de l’homme dans ses capacités intellectuelles, mais semblable à l’homme dans son aptitude à ressentir la douleur En aucun cas il est un objet, au sens post-cartésien du terme. Il s’ensuit que l’animal devrait avoir, dans la pratique et dans la loi, un statut particulier, lié à sa nature d’animal sensible. C’est la raison d’un mouvement qui se développe actuellement en faveur de « droits de l’animal », droits qui seraient certes différents des droits de l’homme, mais consacreraient clairement la différence entre l’animal et la chose.

Dans la société occidentale, le chien-chien à sa mémère suscite de moins en moins la moquerie.

DS

 

 

 

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