Curiosité

Ne le prenons pas à la légère.

Feriez-vous l’effort de lire ce petit poème jusqu’au bout ?

Vous qui venez ici
dans une humble posture

De vos flancs alourdis
décharger le fardeau

Veuillez quand vous aurez
Soulagé la nature

Et déposé dans l’urne
un modeste cadeau

Epancher dans l’amphore
un courant d’onde pure

Et sur l’autel fumant
placer pour chapiteau

Le couvercle arrondi
dont l’auguste jointure

Aux parfums indiscrets
doit servir de tombeau.

Le petit endroit Alfred de MUSSET 1810 – 1857

Vous l’avez deviné il s’agit, dit d’une façon poétique, d’une personne allant aux toilettes. Le fait d’aller se soulager mérite-t-il autant de métaphores, d’oxymores, de périphrases ?
Certainement parce que, quoi de plus éloigné en apparence du monde délicat de la vie intérieure que l’environnement trivial des cabinets et autres lieux d’aisance ? A bien y réfléchir, les choses sont plus subtiles et bien plus étroites qu’un regard lointain et condescendant sur cela, car tout ce dont la vie intérieure a besoin s’y trouve, le calme et la solitude, la possibilité de recueillement, l’absence de sollicitations extérieures. Le peuple japonais dans son grand raffinement ne s’y est pas trompé. On trouve souvent dans ce pays les toilettes les plus accueillantes et confortables qui soient, dotées par exemple d’un abattant pouvant être chauffé, d’un clavier de commandes déclenchant des jets d’eau, d’air agréablement tièdes voire tout une gamme de sons masquant les bruits incongrus. Toujours au Japon les moines des temples zen consacrent un soin particulier à l’entretien de leurs toilettes, et à la manière dont ils y séjournent. Il est important pour eux que ces lieux qui pourraient être les plus sales et les plus humbles, soient au contraire d’une propreté et d’une exemplarité exceptionnelle. Il est important pour eux que tous leurs sens (odorat, vue), n’y soient non pas agressés, mais flattés, apaisés. Il ne s’agit pas d’effacer toute une partie sombre ou honteuse de notre biologie mais de faire exister harmonieusement des extrêmes opposés, ceux de l’animalité et ceux de l’humanité.
Voilà pourquoi il serait bien dommage de ne pas cultiver un art de la vie intérieure aux toilettes. Pourquoi ne pas savourer cet instant de pose loin du tumulte du monde ; se réjouir de pouvoir disposer d’un corps capable de tirer tout seul le meilleur de ce que nous lui offrons à manger et à boire et d’en restituer ensuite la part inutile car après-tout notre vie intérieure dépend aussi de ce corps, du soin que nous lui accordons, du bien être que nous lui permettons. Bien des poètes bien des philosophes se sont donnés la peine de réfléchir et d’écrire sur ce sujet, Musset que vous avez lu plus haut, mais parmi eux, il y a aussi Montaigne dans ses essais qui nous rappelle une évidence.
« Sur le plus haut trône du monde, on n’est jamais assis que sur son cul. »
Essais (1588), III, 13 de Michel de Montaigne
DS

Vous pourriez également aimer...