Edito

Nos vielles cheminées disparues.

C’est l’hiver, le froid est là, la maladie nous bloque à la maison. Pour ceux qui possède une cheminée s’assoir devant un bon feu nous transportera dans ces crépuscules d’hiver qui, pour les plus âgés d’entre-nous, ont composé notre enfance. Ils seront forcément ce qui nous reste de plus cher d’une maison où une grande partie de la vie se déroulait autour d’une grosse cuisinière dans laquelle rougissaient des galets de charbon, ou devant une cheminée ouverte où flambaient des rondins de pin ou de chêne. Pour nous enfants, quand la nuit effaçait lentement les formes comme un nuage enveloppe un paysage, le feu devenait la seule lumière rougeâtre qu’on acceptait pour éclairer la pièce. Les ombres dansantes prenaient des allures de lutins agités jouant aux apprentis sorciers. La lumière électrique qui bien souvent effaçait nos angoisses n’apparaissait que tard et restait une intruse nous empêchant de contempler la grille derrière laquelle rougeoyaient les braises et réchauffait nos mains encore meurtries par les bonhommes de neige que nous avions confectionnés dans l’après-midi. Assis sagement sur des chaises devant le foyer, nous balancions nos petites jambes pour aller le plus loin possible vers l’âtre essayant de faire suer le bout des semelles de caoutchouc de nos chaussures. Tout était chaud, tout était douillé, tout était insouciance et bonheur pur.

Pendant beaucoup d’hivers qui ont composé notre prime jeunesse nous nous sommes ainsi laissés prendre chaque soir par ce petit spectacle qui s’accompagnait quelquefois d’une musique délicieuse faite d’un soupir, d’un sifflement d’une flamme ou encore du chant d’une bouilloire que s’amusait à lécher quelque flamme. Ces longs silences finissaient par être coupés par nos parents qui évoquaient toujours ces temps anciens où, avant la guerre, tout était mieux parce que les veillées se prolongeaient tard dans la nuit et qu’on y évoquait toute la noblesse des âmes à jamais disparues. Les sujets de guerre revenaient aussi, avec les exploits des uns ou des autres, des douleurs toujours prégnantes.

Nous connaissions par cœur certaines de ces histoires et elles nous faisaient pousser en les entendants, des soupirs de lassitude. Mais après un certain temps, pris au jeu, nous finissions les phrases à haute voix, ce qui coupait court aux récits. Plus tard nous avons réalisé que loin de rompre le silence, cette voix lui conférait une couleur et une dimension qui nous pénétrait profondément. Plus rarement notre mère, lorsque la préparation du repas du soir lui en donnait le temps, nous racontait selon son humeur une légende triste ou joyeuse mais dans lesquelles figuraient inexorablement des oiseaux aux plumages multicolores et qui parlaient. La pénombre se parait alors de monstres et de créatures féeriques évoluant en un univers traversé de lueurs fantasmagoriques.

De nos jours, la télévision a pris la place du feu et impose son interminable monologue, tiré de faits accablants et tristes, nous privant ainsi d’une chaleur qui conjuguait celle de la flamme et celle de l’échange.

Dommage ? peut-être… Qui sait si dans un demi-siècle, toutes ces soirées passées devant le petit écran n’amèneront pas à ces mêmes souvenirs heureux qui, nous devons le reconnaître, seront avant tout le reflet d’une jeunesse hélas perdue. Nos cerveaux sont malléables, ils s’accommodent de tout et sont capables de créer à l’envie, le bonheur avec n’importe quel évènement. Et c’est tant mieux.

DS

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