Edito

Néolibéralisme, une pandémie plus nocive que le Covid-19 !

L’année 2020 aura été marquée par le Covid-19. Plus de la moitié de la population mondiale a déjà été confinée. Avec pour conséquences sanitaires une remise en cause des libertés pour une large partie des populations.
Nous sommes tous plus ou moins familiarisés avec le lexique médical du registre épidémique mais le sommes-nous avec celui de la pandémie néolibérale que nous connaissons depuis près de 40 années et qui pourrait, souhaitons-le, s’éteindre ? Car il s’agit bien d’un fléau aussi dévastateur que le covid19. L’économie politique est tout aussi impénétrable que les arcanes des mutations virales.
Quelle est l’origine du Covid-19 ? On ne le saura peut-être jamais ce qu’on sait par contre c’est que le néolibéralisme est issu de la réunion d’individus au Mont Pèlerin en Suisse en 1947 dont faisaient partie les économistes Friedrich von Hayek, Milton Friedman ou le philosophe Karl Popper. De ce premier laboratoire sortira des idées virales qui prendront différentes formes et muteront en ce que nous connaissons aujourd’hui à savoir des idées qui n’étaient et ne sont toujours pas des modèles de vertu.
Si le Mont Sinaï a accouché des dix commandements bibliques, le Mont Pèlerin s’est épuisé au bout de six préceptes d’une grande virulence.
– Le premier stipule que l’appât du gain est une bonne chose.
– Le deuxième, que le marché est en conséquence la seule forme de coordination efficace et légitime entre les humains, et qu’il s’autorégule.
– Le troisième, que la société n’existe pas, qu’il n’y a que des individus.
– Le quatrième, que par un effet de ruissellement, plus les riches (les premiers de cordée) s’enrichissent et mieux c’est pour tout le monde.
– Le cinquième, que toujours plus c’est toujours mieux.
– Et enfin, qu’il n’y a pas d’autre alternative que ce système économique
Les premières souches virales idéologiques néolibérales sont restées longtemps confinés dans des bouquins universitaires. Ceux qui en raison de leur audience allaient ouvrir la boîte de Pandore furent les politiques. Nous qui sommes à la retraite on se souvient tous que Margaret Thatcher a été la pionnière dans l’application de la pensée néolibérale dès sa nomination en 1979 5mise au régime sec de l’État, privatisations, mise à l’écart des corps intermédiaires, et notamment des syndicats). Quasiment au même moment, en Chine, Deng Xiaoping prenait les rênes du pouvoir et entreprenait une réforme majeure de l’économie, en proclamant : « Il est glorieux de s’enrichir ». En 1981, Ronald Reagan s’installait à la Maison Blanche et lançait un programme anti-keynésien brutal, qui peut assez bien se résumer à sa citation : « L’État n’est pas la solution à nos problèmes. Il est le problème lui-même ». On en passe et des meilleures.
En 1989, le néolibéralisme triomphe avec l’effondrement de l’URSS qui s’engage dans le chaos, puis vers l’économie de marché livrée à quelques oligarques. Dans les pays en développement, le FMI et la Banque Mondiale vont s’évertuer au cours des années 1980 à 1990 de mettre en œuvre des programmes d’ajustement structurels, autrement dit d’austérité publique, pour répondre aux difficultés financières de pays endettés qui ne pourront payer leurs dettes qu’en s’endettant toujours plus. Comme si le vaccin financier imposé les fragilisait toujours plus face au virus de la dette.

Une fois le marché totalement libéré, les équations deviennent simples : comment faire consommer au maximum l’individu ? Où aller chercher les ressources encore disponibles sur la planète ? Où produire au moindre coût ? Où héberger les bénéfices à la moindre taxation ? La seule stratégie alors pensable pour tout gouvernement est de faire de son pays une zone attractive. On assiste ainsi à une uniformisation des normes et des modes de gouvernance économique. Très peu de pays se sont tenus à l’écart de ce mouvement général de mondialisation, ce qui a permis au virus de circuler de manière active et hors de contrôle.
Nous savons identifier maintenant certains symptômes caractéristiques du virus néolibéral : la distanciation sociale et géographique que facilite l’utilisation massive des paradis fiscaux, ou encore l’explosion des inégalités de revenus qui confine les plus riches dans des ‘’gated communities’’ et les plus pauvres dans des ghettos. La financiarisation des économies et la gestion des activités de biens et services en flux de plus en plus tendus imposent une vision à court terme, une montée des spéculations, et une réduction des principes de précaution et de prévention qui expliquent grandement l’impuissance actuelle face au coronavirus.
Il est facile d’analyser les conséquences de manière clinique.
C’est une surconsommation qui débouche sur des montagnes de déchets largement non recyclés. Un état environnemental de la planète surexploitée, en situation que nous pourrions qualifier de « cas grave », pour ne pas dire déjà dans certaines régions « en réanimation ». Des pratiques alimentaires modifiées qui débouchent notamment sur une pandémie d’obésité largement imputable à la malbouffe. Une liberté d’entreprendre encensée mais largement bridée par de nouveaux cartels, en particulier les GAFAM.
L’hostilité du néolibéralisme à la prévention implique la forte probabilité d’une espérance de vie en mauvaise santé (physique, mentale et sociale).
Le bilan néolibéral n’est donc pas brillant. La question que nous devons nous poser maintenant est de savoir si nous avons enfin dépassé le pic épidémique, et si les citoyens disposent des bons gestes barrières. Les résistances à la pensée néolibérale (les anticorps) sont légion mais pas appliquées.
Pourtant, ce ne sont pas les intentions et les idées qui manquent pour proposer des alternatives crédibles et responsables. La préoccupation environnementale était devenue la priorité de nombreux citoyens avant la crise du coronavirus. Le besoin de proximité, de circuits courts, de davantage de convivialité dans la société, le rejet de la malbouffe, font leur chemin depuis des années. Les actions altermondialistes, les lanceurs d’alerte, malgré leur dispersion, ont permis de réduire le taux de létalité du néolibéralisme.
Le néolibéralisme nie le caractère profondément social de l’individu et aussi son besoin de transmettre plus tard une société en meilleur état. Face à lui, l’immunité collective gagne du terrain, même si l’épidémiologie officielle ne reflète pas pleinement cette situation. Ce qu’il manque, c’est un vaccin qui permettrait d’en finir avec le virus néolibéral. Les essais cliniques d’un remède sont en cours dans différents pays du monde, le convivialisme.

DS

A lire : Second manifeste convivialiste. Vers un monde post-néolibéral, Actes Sud, 2020.

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