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Edito

Les bonheurs du grand âge

Il faut être bien avancé dans les années pour savoir que loin d’être uniquement marqué par des infirmités, le grand âge est aussi une période fertile en émotions variées, d’une intensité qui parfois excède nos forces. Cette défaite du corps est aussi une victoire puisque nous avons su traverser les longues années, alors assumons les avec panache.

Arrivés à la soixantaine, beaucoup d’entre-nous s’attendaient alors à vivre un grand calme et cela intriguait. Devenus septuagénaires, la vie nous a semblé intéressante, une certaine sérénité nous habitait et voilà que passée ce cap, l’ardeur de vivre ne cesse de croître en nous. A notre grande surprise, nous brûlons de convictions ferventes. Il y a quelques années encore, nous jouissions de notre tranquillité mais aujourd’hui le monde extérieur et l’humanité telle qu’elle se présente nous troublent au point que nous voudrions remédier à ce qui se passe, comme si nous avions encore une dette à nous acquitter envers la vie.

Personne ne s’en doute, mais malgré notre aspect défraîchi, nous brûlons d’une vitalité quasi incommunicable, d’une révolte silencieuse qui nous fait crier intérieurement :

  • Qu’attend-on de toi ? faut-il pour encourager les autres, faire comme si l’âge ne comptait pas ?

Nous les anciens comme on nous appelle pour ne pas employer le mot vieux, nous ne sommes plus distraits de l’inexorable fuite du temps, par ces contacts extérieurs, des plaisirs ou des devoirs. Notre unique ressource est de rentrer en nous-mêmes et de goûter les joies simples à notre portée. C’est monotone peut-être, restreint, mais on peut largement s’en contenter.

Nous avons un don précieux, c’est d’avoir le goût du confort. Si nous considérons notre lit, notre bain, nos aliments et boissons préférées comme autant de joies quotidiennes, nous possédons un atout majeur. Les plaisirs des sens paraissent de plus en plus nécessaires à mesure que l’on avance dans l’âge alors que ceux de l’esprit ont quelques tendances à pâlir. Par moment la musique peut nous combler, encore que l’intensité des sons nous accablent parfois. Souvent le silence nous semble exquis comme par exemple auprès d’un beau chat, plein de dignité et de sagesse et si on n’en a pas, nous essayons de rester nous-mêmes, à son image, calme et silencieux.

Je pense que nous nous sentons plus réels, plus vivants, quand nous sommes seuls. C’est en l’absence des autres seulement, il faut bien le reconnaitre, que l’on goûte le charme magique de bien des choses. Certains plaisirs sont réservés aux personnes seules, elles n’usent pas leurs forces en disputes ou en concessions.

Bien sûr, avec d’autres, nous nous efforçons de trouver un terrain d’entente et, en respectant ce sentiment si délicat qu’est l’affection, de ne blesser ni ne juger indûment personne. C’est très fatigant, mais voilà, à notre âge, aimer épuise totalement. Parce qu’aimer c’est souvent s’opposer aux autres pour faire valoir une expérience qui nous aura réussi.

La vieillesse est un temps d’impuissance extrême. Nous avons les défauts que nous nous connaissons et que nous avons combattus. Beaucoup se sont modifiés ou atténués. La vie nous a transformés, bien améliorés tout en nous laissant à peu près identiques à nous-mêmes.

L’essentiel pour nous est de garder l’équilibre, de conserver ce qu’il nous faut de vitalité, de courage, de gaieté, d’intérêt pour les choses de la vie, et de franchise sans compromis. En somme, de rester une créature humaine pleine de sensibilité. A travers les vicissitudes de l’existence, nous essayons de rester droits. Nous avons des obligations à l’égard des gens que nous aimons et aussi de ceux qui ont besoin de nous savoir courageux ou contents.

Si souvent nous sommes bougons et acariâtres, c’est que notre corps souffre de ne plus fonctionner normalement. La médecine a fait de grand progrès mais elle n’est quand-même pas la fontaine de jouvence.

A ceux qui approchent de notre âge et qui le redoutent, nous devons leur dire que c’est en réalité une période de découverte. Découverte de quoi ? chacun doit trouver la sienne faute de quoi ce ne serait pas une découverte.

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