- « Bientôt nous sommes captifs de la lecture, enchainés par la facilité qu’elle nous offre de connaître, d’épouser sans effort quantité de destins extraordinaires, d’éprouver des sensations puissantes par l’esprit, de courir des aventures prodigieuses et sans conséquence, d’agir sans agir, de former enfin des pensées plus belles et plus profondes que les nôtres et qui ne nous coûtent presque rien; et, en somme, d’ajouter une infinité d’émotions, d’expériences fictives, de remarques qui ne sont pas de nous, à ce que nous sommes et à ce que nous pouvons être … »
- Paul Valéry, Discours prononcé à la maison d’éducation de la Légion d’Honneur de Saint-Denis (1932),
La lecture de romans ou de poésies est une expérience ‘’vicariante’’ autrement dit qui permet de bénéficier de l’expérience d’autrui, d’accéder à sa vie intérieure pour enrichir, éclairer ou bousculer la nôtre. Elle est aussi une manière de pratiquer la psychologie,
- « Partout où je suis allé, un poète était allé avant moi »,
écrivait Freud pour souligner que la science psychologique ne fait souvent que valider ou infirmer les intuitions et les observations des écrivains. Plusieurs études ont montré que la lecture d’œuvres de fiction augmente les capacités d’empathie et de compréhension d’autrui comparée à la lecture de non fiction ou à l’absence de lecture. En favorisant l’identification aux personnages, en l’aidant à comprendre leur point de vue sur le monde et sur les autres, elle propose un enrichissement considérable de notre propre expérience de la vie. Dans les travaux dont on dispose, les œuvres classiques semblent y contribuer légèrement plus que les œuvres grand public, sans doute est-ce dû à la plus grande subtilité des phénomènes psychologiques abordés par les auteurs d’œuvres devenues des classiques et aussi par le fait que le grand écrivain ne cherche pas forcément à plaire au lecteur ou à lui simplifier la vie, mais à décrire au plus près ce qu’il observe et ressent quand bien même cela serait complexe comme le sont les rouages de nos émotions et de nos pensées. André Pieyre de Mandiargues notait ainsi à propos de Proust ;
- « Son œuvre à l’attrait d’un énorme crâne trépané où nous verrions évoluer les pensées comme dans un planétarium psychique.
La lecture offre des nourritures à notre vie intérieure mais aussi des joies multiples ; joies de la familiarité et de la clarification quand on trouve exprimée sous la plume de l’auteur des intuitions qui étaient présentes mais confuses à notre esprit, joies de la découverte quand on est surpris par un point de vue auquel on n’aurait jamais songé soi-même, joies de la fraternité quand on découvre à quel point certains de nos ressentis sont proches de ceux de l’auteur et de ses personnages.
La lecture est une rencontre et toute rencontre peut se produire dans des conditions variés et imprévisibles.
Dans la lecture nous avons tous les droits, celui de sauter des pages du livre, de ne pas le finir, de lire n’importe quoi. Tout est bon pourvu que la lecture soit sincère et que les mots pénètrent dans notre cerveau et qu’ils y vivent leur vie propre.
De fait, le moment le plus important est peut-être celui où l’on repose le livre, le moment où la digestion du texte commence, car lire c’est nourrir son esprit et son âme, ainsi on s’occupe simplement de les alimenter, on peut alors passer à autre chose comme le recommande Gide en exergue de ses ‘’Nourritures terrestres’’
- « Que mon livre t’enseigne à t’intéresser plus à toi qu’à lui-même, — puis à tout le reste plus qu’à toi. »
Ni la fréquentation de notre vie intérieure ni celle des auteurs que nous aimons ne sont une fin en elle-même. Il ne s’agit que de détours féconds pour revenir ensuite vers le monde pour mieux l’aimer et l’admirer.
DS