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Y a-t-il un lien entre canicule et réchauffement climatique ?

par Loïc Chauveau 27.07.2018

Les épisodes de canicules se multiplient ces cinquante dernières années. Et ce phénomène, qui provoque des incendies jusqu’au nord de la Suède, est bien lié au réchauffement climatique, assure un nombre croissant d’études.

CONFIANCE. Le réchauffement climatique se traduit par une hausse de la température globale de la planète. Le phénomène ne doit pas être confondu avec des variations de la météo attribuables à la conjonction de conditions particulières amenant à des événements extrêmes. Les climatologues du Giec ne cessent de marquer cette différence. Ainsi, dans leur cinquième rapport publié en 2014, ils écrivent qu’ils ne peuvent, en l’état des connaissances, relier avec certitude la longueur des épisodes de chaleur avec le réchauffement climatique global. Il semble que cette prudence s’estompe.

Explorer ce lien entre réchauffement climatique et événements extrêmes est un des buts que s’est fixé le Giec pour son sixième rapport prévu en 2021. Les labos bossent et les résultats tombent. En décembre 2016, la National Oceanic and Atmospheric Administration américaine (NOAA, l’agence en charge de l’étude de l’océan et de l’atmosphère) a ainsi laissé tomber toute prévention en affirmant qu’une quinzaine d’événements extrêmes dont certaines canicules étaient bien la conséquence du réchauffement climatique. Les grosses vagues de chaleur constatées en France (deuxième jour le plus chaud jamais enregistré à Paris avec 39,7 °C le 1er juillet 2015), en Inde, au Pakistan, en Chine, en Indonésie, au Japon et en Australie ont été provoquées par la hausse globale des températures.

Une nouvelle science : l’attribution des événements extrêmes

AFRIQUE. En France, l’application du nouveau modèle Euro-Cordex dont les résultats ont été publiés dans Science en décembre 2016 concrétise également l’apparition de vagues de chaleur sur l’Hexagone, définies dans cette étude comme un excès de température de 5 °C par rapport à la moyenne estivale sur au moins cinq jours (il n’y a aucun consensus international sur la définition d’une canicule). Selon les scénarios moyens d’une hausse de 3 °C des températures à la fin du siècle et ceux menant à près de 5 °C si aucune politique publique d’atténuation des émissions de gaz à effet de serre n’est menée, la température estivale augmentera de 1,9 °C à 4,5 °C. Il faut donc considérer qu’une canicule de la fin du siècle pourrait être plus chaude de près de 10 °C par rapport à celles que l’on connaît aujourd’hui ! Et cette situation caniculaire s’étendrait de 10 à 60 jours selon les régions par rapport à la période de référence 1976-2005. Ce qui correspond à un été africain d’aujourd’hui.

La montée des températures dans l’Arctique affaiblit le courant-jet

Comment la hausse des températures peut-elle faire dérailler la météo estivale ? Le coupable ne fait presque plus de doute. Il s’agit du courant-jet (aussi appelé jet-stream). Ces vents de haute altitude séparent les masses d’air chaud tropicales de celles, froides, de l’Arctique. Ces vents sont d’autant plus puissants qu’ils sont nourris par la différence de température des masses d’air. Or, explique Michael E. Mann, de l’université de Pennsylvanie (États-Unis) dans Scientific Reports, les températures dans l’Arctique se réchauffent deux fois plus vite qu’aux tropiques. La différence de température étant moindre, le courant-jet forme des ondulations nord-sud qui aboutissent à une situation de blocage. Si la France se situe sous l’influence d’une courbe sud du courant-jet, les conditions météo se figent sous des températures élevées pour une longue durée. C’est ce qui s’est produit en 2003 ou la vague de chaleur a duré près de trois semaines.

Les ondulations du courant-jet à la suite d’un affaiblissement des différentiels de températures entre nord et sud. Copyright NASA

Un été africain à Paris ? Quelles conséquences ? Dramatiques forcément. La canicule de 2003 a provoqué la mort prématurée de 15.000 personnes en France. Pour tenter de mesurer ce que pourrait donner un monde sous la canicule, l’université de Hawaii (États-Unis) a compilé les 1900 endroits dans le monde où, depuis 1980, des vagues de chaleur ont été recensées. Les chercheurs ont ainsi retrouvé 783 canicules mortelles dans 164 villes de 36 pays. Ils ont défini des seuils de mortalité qu’ils ont appliqués aux températures de la fin du siècle si rien n’est fait pour lutter contre le réchauffement. Ils en déduisent que 74 % de l’humanité sera confrontée à des conditions mortelles de chaleur. Ainsi, New York affrontera en 2100 50 jours par an où les conditions de températures et d’humidité seront au-dessus des seuils de mortalité constatés aujourd’hui lors de canicules extrêmes dont l’occurrence est loin d’être annuelle.

Des incendies jusqu’en Laponie

Les violents incendies qui ravagent la Suède en ce mois de juillet 2018 (20.000 hectares de forêts sont déjà partis en fumée, du jamais vu au cours de la dernière décennie) jusqu’en Laponie, auraient également un lien avec le réchauffement climatique, selon Jean Jouzel. « Les conditions climatiques relevées au nord du cercle polaire son exceptionnelles », commente le climatologue. « C’est une situation qui cumule à la fois une température record (32°C au cercle polaire le 17 juillet 2018 ! NDLR) et une sécheresse persistante. » Les causes sont météorologiques : « Il y a une situation de blocage anticyclonique », qui empêche la survenue de précipitations… ce qui amplifie la sécheresse. Des feux ont même été repérés au-dessus du cercle polaire. Dans la périphérie de la ville de Jökkmokk, destination prisée par les touristes en hiver et située sur le cercle polaire, cinq incendies ont été recensés.

Les données européennes (voir graphe ci-dessous) montrent ainsi qu’il y a non seulement plus de 10 fois plus de départs de feux qu’en moyenne au cours de la décennie précédente, mais aussi que chaque feu, pris individuellement, brûle davantage de surface forestière !

Nombre de départ de feux en Suède / Crédits : EFFIS

Un avant-goût du futur ?

« Les pays scandinaves ne sont pas préparés à ces feux de forêts, c’est inédit pour eux, poursuit Jean Jouzel. Le réchauffement climatique est en moyenne deux fois plus rapide dans les régions situées au nord. Et pour la Scandinavie, 2018 est la troisième année la plus chaude… après 2017 et 2016. »

Les feux de forêts saisonniers, d’ordinaires limités en Europe au pourtour méditerranéen et au Portugal, pourraient avec le réchauffement climatique s’étendre au nord, estime Jean Jouzel. « En cas de réchauffement climatique non maîtrisé, on pourrait voir dans la deuxième partie du 21e siècle des températures de 55°C en France, et des feux de forêts dans l’ouest du pays ». Un appel à endiguer le changement climatique : sans quoi les spectaculaires incendies scandinaves pourraient bien être un avant-goût de ce qui nous attend… et plus seulement dans le sud de la France.

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