Le véganisme (pour faire court, je vais y inclure le végétalisme) est un mot nouveau qui suscite déjà des passions (dégradation des devantures de boucheries). Cette nouvelle philosophie car on peut avancer que s’en est une, élimine toute source protéinique animale de notre alimentation, (produits carnés, produits laitiers, œufs etc…). De prime abord on pourrait trouver stupide d’inclure dans ce régime les produits laitiers ou les œufs, mais en y réfléchissant on constate que la production de ces derniers, nécessite par la force des choses, l’abattage de veaux et de poules.
Alors avancer que la motivation du véganisme est plus morale que nutritionnelle n’est pas faux, elle est même la raison majeur de son existence.
La seconde raison est d’ordre environnementale. Les élevages sont polluants (nécessité d’engrais pour les cultures intensives comme le maïs fourrage, rejets abondants des animaux, gaz à effet de serre produits par les tracteurs etc.).
Même si l’environnement naturel est plus adapté aux omnivores qu’aux végans, la suppression totale de la viande dans l’alimentation n’est pas un gros handicap sur le plan santé. Se nourrir devient cependant plus fastidieux pour équilibrer les régimes alimentaires (exemple : la viande apporte aux organismes l’essentiel des besoins en vitamine B12). Si on décide de faire le pas il faut simplement savoir qu’on aura besoin de se creuser la tête pour établir un menu équilibré. Aujourd’hui seule une élite peut absorber les coûts et le temps pour satisfaire à cette idéologie.
Tout un pan de la philosophie développée depuis des siècles s’écroule.
Le véganisme se présente comme un mouvement visant à réduire la souffrance et l’exploitation animales, tant pour l’alimentaire, que le vestimentaire ou le divertissement (cirque etc.). Autrement dit les végans proposent de repenser la relation homme/animal non plus sur le mode de l’assujettissement (hérité de Descartes, cf. sa théorie des animaux-machine), mais sur le mode de l’équilibre, de la coexistence. La question devient alors : le bien-être des animaux est-il compatible avec celui des hommes ? Peut-on envisager de dégrader les conditions de vie de ceux-là au profit du bien-être supposé de ceux-ci ? Il paraît évident que cette sacralisation des animaux relève d’un anthropomorphisme patent. Aujourd’hui il semble admis que les animaux soient doués d’une sensibilité (le code civil le stipule), mais faut-il leur conférer une conscience pleine (comme le pouvoir de se poser comme objet selon Kant, ou comme intentionnalité selon Husserl) ?
Une autre question peut être posée si on part du principe que les hommes sont aussi des animaux. En appliquant qu’à une certaine catégorie d’animaux le traitement de faveur, doit-on alors considérer l’homme comme inférieur aux autres espèces animales ? Le véganisme ne se condamne-t-il pas à l’anthropomorphisme ?
La vie est cannibale elle consomme d’autres vies pour perdurer. Être homme implique, à mon sens, une nécessaire dose de ‘’mal’’ indispensable à sa vie. Prenons l’exemple du soja (tofu, yaourt, lait de soja, graines grillées), du point de vue diététique il est très intéressant car il sert souvent de substitution à la viande comme source de protéines non carnées ; on dira qu’il est ‘’végan-compatible’’, USA, Amérique du sud, Chine sont les principaux producteurs ce qui implique par le biais de l’importation une grosse dette écologique, de plus sa croissance nécessite beaucoup d’eau et la rareté de l’eau menace l’humanité. Donc, en toute logique et en poussant le bouchon un peu loin, un végan ne devrait consommer que du local et avec très peu d’eau.
La conviction profonde du végan est de minimiser le mal qu’il fait. Le mythe de la pureté (désignant l’objectif du zéro nuisance) risque d’avoir pour conséquence une apathie, une absence d’emprise sur le monde. Au contraire, être homme signifie agir sur le monde, parfois provoquer le mal, souvent essayer de le réparer et finalement définir des principes pour le limiter.
Arendt, dans La condition de l’homme moderne, formule cet avertissement :
– « Si nous n’étions pardonnés, délivrés des conséquences de ce que nous avons fait, notre capacité d’agir serait comme enfermée dans un acte unique dont nous ne pourrions jamais nous relever : nous resterions à jamais victimes de ses conséquences. »
Alors le véganisme est-il une idéologie qui retourne l’homme contre lui-même pour devenir un antihumanisme ?
DS