Dans les comportements individuels, bien des écarts existent dans l’application des règles sanitaires.
Nous ne sommes pas tous « égaux » en ce qui concerne la mise en œuvre de ces normes, parce que nous n’avons pas les mêmes idées, les mêmes représentations au sujet de ce qu’est la santé, et pas les mêmes réponses quand il s’agit de la préserver.
On peut ainsi concevoir que certaines personnes sont poussées à faire ce qui est attendu d’elles en ce qui concerne la préservation de la santé, à suivre les règles, et d’autres moins.
Chez les personnes âgées et qui plus est, malades, la compliance sera exemplaire tandis que chez l’individu en excellente forme la maladie n’arrive qu’aux autres et les cancers de son entourage ont toujours une cause liée à des excès, (tabac, l’alcool, oisiveté, etc.). Bref une mauvaise gestion de vie.
Cependant des études ont aussi démontré que les classes populaires ne prêtent pas volontiers attention à leur corps, et l’utilisent plutôt comme un outil, lui demandant avant toute chose de fonctionner. Autrement dit, le corps, tant qu’il répond à ses propres attentes n’est pas l’objet de perceptions spécifiques. Ce qui est valorisé dans cette perspective, c’est l’activité physique, la capacité de faire et la force physique.
À l’inverse, les personnes attentives à leur corps lui prêtent une surveillance spécifique et ont une perception aiguisée des messages qu’ils en reçoivent. Témoigner de l’attention à son corps c’est faire en sorte de l’entretenir et de lui fournir au quotidien les éléments qui permettent d’éviter, de façon préventive, les dégradations et les affections.
Il résulte de ces deux philosophies, des conceptions différentes de la maladie et des modalités appropriées pour y faire face. Ce qu’on s’applique à soi-même on l’applique aussi bien souvent aux autres. Ainsi pour certains la motivation principale pour rester confiné n’a pas été, ou pas seulement, le souci pour la santé : c’est principalement le civisme, le respect d’une norme collective, nationale, citoyenne.
Dans les cas des dérogations personnelles que les gens s’octroient par rapport à la norme citoyenne, il y a toutes sortes de bonnes raisons, mais toutes se rassemblent dans l’incivisme. Reconnaissons que le confinement est pour la population un moment pénible et économiquement couteux mais qu’en est-il du port du masque ?
Selon toutes les apparences, le masque est un dispositif visant à protéger la santé – celle de la personne qui le porte comme celle de qui la croise.
En réalité, le port du masque dans l’espace public est polysémique et doit être envisagé dans le rapport qu’il indique vis-à-vis d’autrui : le masque peut en effet signifier une chose ou son contraire, la méfiance, certainement, mais aussi bien le respect. La méfiance, celui qui le porte se protège des autres mais le port du masque est aussi une marque de respect, c’est un cadeau fait aux autres qu’on croise ; c’est le signe d’une participation collective à la lutte contre la transmission du virus.
Quant au fait de ne pas porter de masque dans l’espace public, il est également sujet à interprétation. On peut le voir comme le reflet d’un entre-soi confiant, une manière d’afficher une tranquille assurance, celle de disposer d’une protection « naturelle » – que certains verront sans doute comme une négligence coupable.
Il correspond à une forme de supériorité de groupe affichée, d’où qu’en vienne la raison et dans quelque milieu social et quelque région qu’elle apparaisse – on pense à celle de certains utilisateurs de voitures puissantes qui estiment pouvoir à juste raison s’affranchir des limitations de vitesse parce qu’ils sont d’excellents conducteurs ;
Cependant, le fait de ne pas porter de masque peut aussi être classé du côté de la transgression manifeste. Il est alors signe de rébellion, affirmation d’une liberté, contestation de l’ordre établi et des consignes des autorités. De déni également dans un temps où la force de l’épidémie est universellement reconnue.
En résumé, dans tous les cas, le port du masque fonctionne comme un message qui n’a pas nécessairement pour objet la préservation de la santé. La santé peut éventuellement être présente ou non dans les justifications pour porter ou non le masque, mais elle n’est certainement pas un déterminant ultime des pratiques à cet égard. Lorsque elle est évoquée, elle est souvent un prétexte : porter le masque en public ou s’en passer, c’est une manière de se situer vis-à-vis d’autrui, une façon de montrer de l’empathie ou de la compréhension, un signe d’appartenance sociale, un marqueur politique, etc.
Le port du masque est l’un des symboles les plus marquants de la distanciation sociale et il est devenu dans certains espaces une obligation. Les habitudes acquises maintenant pourront transformer durablement nos manières d’être en société.
DS