Être à la retraite c’est forcément être vieux. Dit autrement, nous sommes devenus des séniors. Le langage de la bien pensance lisse aussi les âges. Dans un futur proche le mot ‘’Junior’’ sera probablement utilisé pour niveler un peu plus encore l’écart des générations. Dans des temps pas si anciens que j’ai connus, le mot’’ vieux’’ avait une connotation de personne respectable et de bons conseils. ‘’Senior” est maintenant le mot employé quand on est embarrassé de parler de ceux dont l’âge implique l’arrêt des activités professionnelles. Sa douceur euphémistique montre l’invisibilité dont souffre cet âge rejeté hors de la vie “active”. Un nouveau monde s’ouvre à ceux qui ont vieilli. Ils entrent dans le concept quasi raciste de ‘’l’âge”.
Il faut se rendre compte que par ce fait on isole plus la jeunesse qu’on ostracise les vieux. La vieillesse est une réalité que connaitra la jeunesse et la conséquence est qu’elle apprend à la redouter. Comme s’il s’agissait de vies distinctes qu’on peut choisir.
“Chacun a en lui tous les âges de la vie”, dit Proust et dans le même esprit, “c’est avec des adolescents qui durent un assez grand nombre d’années que la vie fait ses vieillards”.
Selon une enquête les jeunes éprouvent du dégoût pour les vieux mais adorent leurs grands-parents. Comment comprendre ce paradoxe ? C’est que la vieillesse n’est pas qu’un fait biologique ; elle est aussi une affaire de représentation et de stéréotypes. Ceux-ci valorisent la jeunesse active et confinent “l’inactif” à l’inutile.
“Pour la société, la vieillesse apparaît comme une sorte de secret honteux dont il est indécent de parler”, écrivait Beauvoir dans La Vieillesse, en 1970. Les économistes, les législateurs accréditent l’impression de poids que les non-actifs représente pour les actifs. On occulte tout à fait l’entropie des corps organiques. Chacun d’entre-nous est un futur non-actif qui doit assurer son propre avenir en instituant la prise en charge des gens âgés.
Fort heureusement les retraités ne figurent plus parmi les catégories les plus pauvres de la société. Les valeurs gagnées au cours de leur carrière sont réinjectées dans l’économie ce qui biaise un peu la vision faite à travers le prisme de la rentabilité et de l’inutile. On ne s’intéresse au matériel humain que dans la mesure où il rapporte pour le jeter ensuite.
Est-ce que l’allongement du temps de travail va davantage accroitre le faussé qui sépare aujourd’hui les actifs des non-actifs ?
Les temps sont durs.